Eclipse amoureuse #3

Maintenant, Rosean dort, il rêve. Parti dans l’Orient, il porte la croix et le péché du monde en se demandant lequel est le plus lourd. Il a chaud, les gens sont étrangers, il semble qu’ils le regardent. Il se dit que ce n’est pas en rompant des pains qu’il aurait pu se muscler suffisamment pour ces charges. Papa aurait pu lui dire. Ce massacre d’enfants au cours de son mois de naissance, très tôt les mains pleines de sang. Mais il sait aussi que ces meurtres ont éliminé un nombre considérable de pécheurs potentiels et qu’ainsi sa croix est moins lourde ou le chemin plus court. Il transpire, se dit que la vie est étrange parfois, la foule le suit, certains l’encouragent, d’autres le conspuent. Rosean n’est pas un sportif, il n’a besoin de personne pour mener sa mort et poursuivre son effort. Cependant, leur attitude l’égare un instant : qu’a-t-il fait pour mériter tous ces regards ? Mais il pense que ce n’est qu’un rêve après tout, il est seul dans son corps avec son indifférence.

Le voilà, le monticule de sa crucifixion. Il va pouvoir se reposer un peu avant de mourir dans d’atroces souffrances, ressusciter ensuite, pourquoi ressusciter, il l’ignore mais s’en moque, cette mort-là n’est qu’une étape dans cette vie-ci.
Quelques instants s’usent pendant lesquels Rosean demande discrètement, par la voie des pensées divines, si tout va bien se passer… Il n’ose imaginer des clous rouillés sans vaccin antitétanique, il en revendique même des neufs pour éviter les maladies sexuellement transmissibles. Le centurion affirme que c’est inutile, qu’il va perdre tout son sang. Rosean acquiesce devant tant de pragmatisme. Le ciel se couvre, pourvu qu’il ne pleuve pas, pense-t-il, le bois de la croix pourrait gonfler, les clous sortiraient de leur confortable logement et me feraient tomber de mon piédestal. Sa couronne d’épines lui irrite les oreilles et il ne peut se gratter. Cette cérémonie devient ridicule, quasiment nu dans la rue, les spectateurs sont partis déjeuner.

Heureusement, un centurion sympathique et humain lui plante une lance dans le cœur pour que la bête meure. Malgré la dureté de l’organe, l’arme, après un court combat, l’emporte et, avec elle, l’âme divine de Rosean. En laissant la vie, il entend sonner une note à un carillon, mais il n’a pas le temps de pousser plus loin l’analyse de cet événement : il est l’heure de se lever et d’oublier ce rêve.

 

Eclipse amoureuse #4

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