Eclipse amoureuse: #1

1er juillet, 6h30 : La sonnerie fracassante du réveil brise le sommeil de Rosean et l’inhibe. Il se lève, cherchant ses yeux vitreux dans l’obscurité de sa chambre. Il les trouve.

Encore une journée, une autre journée. Sa fenêtre, restée ouverte pendant la nuit, l’attend, tout comme ses vêtements gris et inusables : le voilà frappé du néant. Il glisse vers la douche, espérant ne pas être repris par le piège du siphon. Mais aujourd’hui, celui-ci ne tente aucun coup de vice, et tranquillement, seule l’eau s’évacue, malgré ces larmes que personne ne verra jamais. Puis Rosean allume une cigarette, peut-être la dernière… Sa tête résonne comme une montagne de laine après une nuit d’errance, mais il ne se souvient de rien et, encore ce matin, il est seul.

Maintenant habillé, à l’image de son moral sapé, il laisse son appartement ouvert aux voleurs. Sur la porte, une consigne : “Ne laissez pas entrer les mouches pyromanes travaillant pour les pompiers.” Il part.

Dehors, le carnage a commencé : des gens se battent dans la rue après un accident de voiture. Le prix du verre a encore dû augmenter, se dit-il. Rosean passe, mais son ombre claire reste un moment à observer les combats avant de le rejoindre à l’abri de bus.

Dans le véhicule bondé, il s’impose en dictateur sur la dernière place assise. À l’arrêt suivant, une vieille dame fripée s’approche, le fixe et lui demande instamment de lui céder sa place. Devant son silence, elle se met à roucouler sur les privilèges accordés par les gens intelligents aux torchons usés par l’avarice. Puis elle commence à baver, jette sur le sol les graines destinées aux pigeons et offre à Rosean, désintéressé, le présent de son opinion sur les jeunes de son espèce : ses yeux bicolores, ses incroyables mauvaises manières…

Il se lève sans un mot, toise l’ancêtre un instant, l’effraie de son silence et de son mépris, puis se meut vers une autre situation vectorielle perpendiculaire à la précédente.

Bon gré mal gré, le bus finit par s’arrêter. Rosean descend, suivi par la peau plissée qui croit qu’on ne la lui fait pas. Il la suit à son tour un moment, sans état d’âme, puis entre dans un lieu de travail.

Là, un chef du personnel lui demande ce qu’il veut faire. Il ne répond rien et pense la même chose. Finalement, on lui donne à compter les secondes et les minutes des heures qui passent. L’État tient à savoir si le temps n’est pas en train d’agir contre lui. Raison d’État, absence de raison et secret absolu sur ce qui n’est pas dit, comme de bien entendu.

12h00 : Rosean s’extirpe de son fauteuil ronflant, se demande si la chaleur qui s’est installée ne joue pas un rôle dans la dilatation des secondes qu’il a remarquée, puis il n’y pense plus. Il franchit la porte – qui le remercie – et cherche un lieu pour déjeuner. Il n’a pas faim, mais quelle importance… Il entre dans un restaurant sans nom, au serveur sans visage. Quand celui-ci lui demande ce qu’il veut, il répond “comme d’habitude”, et l’homme-tablier lui amène n’importe quoi. Il ne sait pas ce qu’il mange et, d’ailleurs, s’en moque. Les couverts accomplissent leur service, tout comme sa bouche et son estomac.

Ses yeux repèrent soudain la vieille du matin, occupée à tergiverser avec l’homme-sandwich sur le prix des baumes rajeunissants. Excédé par tant de linéarité, Rosean prend une fléchette invisible dans la poche de sa veste et la propulse en direction de la momie grise à l’aide d’un stylo habilement évidé. Elle ne sent rien, mais le poison va bientôt agir : celle-ci, au moins, mourra avant lui.

Il paye puis part, laissant au serveur le soin de balayer les cendres du passé.

Le silence de la ville n’existe toujours pas et les égouts empestent le sang des immeubles sur lesquels est tagué: Tu es comme un chat de gouttière un peu trempé, qui revient le matin avec sa gueule sur le dos d’un rat. Fier, mais tu pues. 

Rosean, lui, marche sur le trottoir, esquivant adroitement les vicissitudes canines et les rejetés de la vie.

Soudain, la pluie vulgaire tombe. Il entre dans un cinéma, prend un ticket et va s’installer à côté d’une jeune fille. Elle le regarde, il la regarde, finalement, ils se regardent. Il aimerait la tenir dans ses bras. Elle pense cela aussi, sans doute. Il respire plus fort.

Après la projection, ils restent ensemble sans avoir échangé un mot. La jeune fille s’appelle Anna-Lise et a de beaux cheveux.

Ils entrent dans un appartement sous les éclairs du soleil. Il est 18h29.

Ils passent quelques secondes à ne rien se dire. Le miroir ne réussit pas toujours à renvoyer leur image, alors il se brise ou se casse.

Adieu…

Rosean et Anna-Lise s’endorment.

 

Eclipse amoureuse: #2

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